mercredi 26 septembre 2018

Le rémouleur

« Rémouleur, rémouleur ! Repasse couteaux Laguiole ! Repasse ciseaux ! » Voilà le cri du rémouleur que l’on pouvait entendre au croisement de rue, sur une place ou sur un marché dans les villages et villes d’autrefois.
Le rémouleur se déplaçait avec sa petite charrette, sa voiture bringuebalante, son engin bizarre, fait de poulies, de roues et de courroies. Sur sa charrette se trouvait également une meule, généralement à eau et mécanique. Le mécanisme était actionné par le rémouleur à l’aide d’une pédale, une boîte de conserve percée distillait les gouttes d’eau nécessaire pour mouiller la meule.
Une fois stationné à un endroit précis, le plus souvent à l’ombre des tilleuls ou platanes d’une place en été, ou à l’abri d’un pignon de maison en hiver, il agitait une clochette pour signaler sa présence. Les femmes s’empressaient. On lui amenait les couteaux Laguiole que l’on possédait, le rasoir dit « coupe-choux » du mari qui ne rasait plus, une paire de ciseaux rouillée, les couteaux de cuisine, la faucille, tous ces différents objets tranchants qui nécessitaient d’être affutés, remis à neuf afin de pouvoir être à nouveau fonctionnels.
Pendant que le rémouleur s’affairait, les femmes discutaient entre elles et les enfants assistaient au spectacle où les étincelles virevoltaient au milieu des bruits stridents de la meule limant l’acier.
Vers 1400, une véritable corporation des émouleurs est créée. Ces hommes proposaient un savoir faire unique qui se transmettait au fil du temps. N’était pas rémouleur qui voulait, il fallait être forcetier, c’est-à-dire forgeron ou coutelier, donc maîtriser les techniques de fabrication des couteaux Laguiole en autre, pour pratiquer l’affutage.
Afin d’apporter de la longévité à ces pièces uniques faites à la main, il convenait de les amener chez le rémouleur, qui lui affûtait de manière très rapide l’outil en travaillant d’une façon minutieuse l’angle de coupe.  Il fallait qu’il soit efficace et précis afin de ne pas tordre ou caser la lame.
Au début du XXème siècle, en Europe, le métier de rémouleur était une spécialité des Yéniches, surnommés aussi « Tziganes blancs ». Ce sont des personnes appartenant à un groupe ethnique semi-nomade d’Europe, dont l’origine semble varier selon les familles. On les trouve principalement en Allemagne, Suisse, France, Autriche… Ils ont leur propre langue, la langue yéniche.
Le métier de rémouleur, qui était encore très commun jusqu’à entre les deux guerres mondiales, a largement disparu en France au XXIème siècle. Le rémouleur, comme de nombreux autres petits métiers, est victime du progrès. Les couteaux Laguiole en inox s’usent moins vite et les utilisateurs, soit affutent leur couteau Laguiole eux même, soit le rapportent auprès des couteliers pour l’affutage et l’entretien de leur couteau.
L’endroit, où le rémouleur travaillait, devenait vite le rendez-vous des commères qui, dans l’attente de leur tour, profitaient du repassage des lames pour s’aiguiser la langue !

La transhumance de ces belles Aubracs aux yeux fardés


Quand arrive le dernier week-end du mois de mai, le plus proche du 25 mai, date traditionnelle de la montée des troupeaux vers le plateau de l’Aubrac, jour de la Saint Urbain, les vaches Aubrac s’impatientent comme si la montagne les appelait.
La semaine précédant la transhumance, la famille de l’éleveur est mise à contribution pour préparer les différentes décorations qui orneront les Aubrac.

Avant la levée du soleil, les paysans s’occupaient de leurs vaches afin de les préparer pour la transhumance. Ce jour-là, les reines ce sont elles : les Aubrac. Chaque éleveur s’applique à les embellir avec des rameaux fleuris, des drapeaux, du houx, des genévriers fixés sur leur tête. C’est avec grande peine qu’on leurs attachent cloches, clapas et sonnailles autour de leur cou, tellement l’appel du grand air les titillent.

Avant cinq heures du matin, tout est prêt pour la transhumance. Les éleveurs, la famille et les amis se retrouvent autour de la grande table dans la pièce commune de la ferme pour déguster un casse-croûte, qui lui sera à la mesure de la cinquantaine ou soixantaine de kilomètres qui séparent l’exploitation agricole de l’estive sur l’Aubrac. A la fin de ce repas très copieux, le chef de la maison claque la lame de son couteau Laguiole pour annoncer le départ de la transhumance.
Les vaches sont détachées de leur place et elles sont regroupées dans la cour de la ferme. En fait, seules les vaches effectueront intégralement cette longue distance, les taureaux pour pas perturber le troupeau, ainsi que les veaux trop jeunes, seront montés à l’estive dans des camions.
Les portes de la cour s’ouvrent en grand et le départ est là. C’est une vraie batterie-fanfare qui sort, quasiment au galop. Le propriétaire du troupeau part en tête avec à sa main le drelhièr, bâton coupé dans l’alisier blanc, arbre qui accompagne le hêtre dans les forêts de l’Aubrac.

La « vacada » (le troupeau) avance à une allure assez soutenue pendant les cinq ou six premiers kilomètres, après le rythme commence à ralentir. L’irréelle promenade se poursuit dans un vrai livre d’images, avec des hameaux, des villages, des pierres, des lacs… Après une vingtaine de kilomètres et à peu près trois heures de marche, la vacada s’arrête dans un village, où se trouve au centre une fontaine pour que les Aubrac puissent se désaltérer avant la véritable montée vers les hauts plateaux de l’Aubrac. 

Le troupeau repars sur les versants de la montagne en empruntant les chemins naturels appelés les « drailles ». Sur le coup de midi, la patronne du troupeau arrive à un endroit, convenu auparavant, avec le pique-nique et les couteaux Laguiole pour pouvoir se restaurer sur place. L’ambiance est bonne enfant.

La vacada reprend sa route en direction du village d’Aubrac, lieu de passage de tous les troupeaux qui transhument. A l’arrivée à Aubrac, les vaches s’abreuvent à la fontaine de la place, ou d’autres se couchent sur le bitume. Pendant ce temps sur le podium, les commentateurs expliquent la montagne, les burons et détaillent l’historique de chaque famille d’éleveurs devant une foule immense.
Dernière étape de la transhumance, le troupeau reprend les drailles pour enfin se retrouver au milieu de la montagne et pouvoir gambader sans aucune restriction. Les veaux sont déjà présents et sont tout content de retrouver leurs mères, cette vache Aubrac aux yeux maquillées qui a était la reine de la journée.